“Fake streams” : pourquoi il ne faut pas céder à la tentation d’acheter ses écoutes sur les plateformes de streaming
Ça y est, vous avez finalisé l’enregistrement de votre album et l’avez diffusé sur les plateformes de streaming. Vous attendez fébrilement de voir vos écoutes grimper, puis les jours passant, perdez peu à peu espoir. C’est qu’il faut avoir en tête qu’il y a chaque jour environ 100 000 morceaux mis en ligne sur les plateformes, une quantité tellement massive qu’il est logique qu’une majeure partie d’entre eux ne trouvent pas d’emblée des milliers d’auditeurs.
Si vous avez travaillé la communication autour de l’album, que vous avez déjà une petite communauté à laquelle vous avez teasé cette nouvelle sortie, que vous avez réussi à trouver quelques dates de concerts, vous devriez tout de même avoir une petite dynamique qui mènera à des écoutes dites “organiques” (car provenant d’écoutes d’êtres humains réels) sur ces plateformes. Il peut être tentant de dépasser cette dynamique (et ce, peu importe son importance) en ayant recours aux faux streams : les offres pour acheter des milliers d’écoutes à un prix modique pullulent sur le web. On estime même que sur les plateformes aujourd’hui, jusqu’à 30% des streams seraient “non naturels”. Avoir une audience plus large et des titres rencontrant du succès peut aider pour trouver de nouveaux partenaires (label, tourneur, financeurs…) ou pour se faire repérer par la presse et le public. Même les artistes les plus en vue y ont recours, pour jouer sur l’argument marketing de la sortie pulvérisant le marché dès le jour de sa sortie. Mais cette pratique, si séduisante (et, aujourd’hui, répandue) qu’elle soit peut en fait se retourner contre les artistes, pour plusieurs raisons :
Tout d’abord, les plateformes tentent elles-mêmes (avec plus (Deezer) ou moins (Apple et Amazon) d’ardeur selon les cas) de repérer ces écoutes frauduleuses, et le risque c’est que les profils dont les écoutes sont les plus douteuses (milliers de streams issus d’un pays autre que celui ou l’artiste fait le plus d’écoutes d’habitude, un seul titre répété en boucle…) se retrouvent tout bonnement supprimés. Il s’agit là des cas les plus extrêmes. L’autre risque, c’est que les partenaires que l’on prétend convaincre avec les bons chiffres d’écoute sur son profil repèrent directement l’aspect artificiel de cet apparent succès (des titres qui tournent autour des 500 écoutes et un seul à 50 000…). Les professionnel·les du milieu ont en effet appris à reconnaître certains indicateurs du recours aux faux streams. Si les streams achetés sont trop évidents, cette manœuvre peut donc aller à l’encontre de votre intention première, si c’était celle de nouer de nouveaux partenariats en dopant vos performances réelles : vous êtes grillé·e.
Les autres répercussions négatives de cette pratique de l’achat de streams concernent l’algorithme des plateformes. En effet, les écoutes achetées peuvent être l’œuvre de “fermes de bots”, qui écoutent en boucle les morceaux pour lesquels l’artiste (ou son entourage) a payé (même si les méthodes de fraude se sont diversifiées aujourd’hui). Ces bots n’ont pas le comportement naturel des auditeur·rices, qui vont ajouter des morceaux à leurs playlists et à leurs favoris, écouter des albums complets ou dans le désordre ou encore partager des morceaux avec leurs ami·es. Les algorithmes vont donc analyser l’œuvre comme étant peu engageante pour l’auditeur·rice, considérant que les gens ne s’y attachent pas, et ne vont pas les mettre en avant dans les recommandations faites aux utilisateur·rices de la plateforme.
De plus, l’algorithme, dont le rôle est d’analyser et de faire des rapprochements entre les différents comportements des utilisateur·rices, peut se retrouver perdu par les profils qui écoutent votre musique si vous avez recours aux faux streams. En effet, il va être très difficile pour lui de trouver des points communs entre eux, et de relier le style réel de votre musique à des artistes similaires, puisque votre public se trouvera très largement parasité par des robots dans le cas d’achats de streams. Votre nom ne va donc pas ressortir autant qu’il le devrait dans les suggestions d’artistes faites aux utilisateur·rices. Pire, il pourrait même se retrouver associé à des artistes avec lesquels vous ne partagez rien d’autre que la ferme de bots qui a généré les écoutes.
Une fois que l’algorithme a tiré de mauvaises conclusions sur un profil d’artiste, il peut être extrêmement difficile de faire en sorte que la dynamique des écoutes naturelles reprenne le dessus, et il faut parfois aller jusqu’à la suppression de son profil pour repartir de zéro. Dans le cas des artistes établi·es qui ont recours aux faux streams, ce sont des effets qui sont invisibles, les écoutes achetées étant moins nombreuses que le nombre d’écoutes naturelles, l’algorithme a assez de données pour continuer à classer correctement les artistes en question. Pour les artistes à l’envergure plus modeste et celles et ceux qui débutent en revanche, il s’agit d’un vrai risque. C’est pour cette raison qu’il est indispensable de réfléchir avant de céder à l’appel des faux streams, ces écoutes frauduleuses qui ont envahi les plateformes et qui posent par ailleurs de sérieux problèmes en termes de partage de la richesse notamment. Dans le cas du système de paiement dit Market centric, les artistes respectant les règles se retrouvent lésés par celles et ceux qui font des milliers voire des millions d’écoutes grâce à des robots. En effet, cette méthode de paiement consiste à partager le gâteau entre les différents artistes qui génèrent le plus d’écoutes, contrairement à la méthode User centric qui distribue l’argent généré par les écoutes des utilisateur·rices (abonnements ou publicité) aux artistes qu’ils et elles écoutent réellement.
Si le sujet des fake streams vous intéresse, retrouvez le dossier du journal Les Jours à ce sujet, très complet.
Concernant les différences entre le Market Centric Payment System et le User Centric Payment System, le CNM a dévoilé les résultats d’une étude comparant ces deux modèles en janvier 2021